Hector Crespo parle de l’importance et de l’évolution de la conception, ainsi que de la façon dont son équipe se sert de cet outil pour insuffler du dynamisme à des initiatives. Cet article est le premier d’une série de trois portant sur la conception considérée non seulement comme une activité professionnelle, mais comme une véritable passion.
PARTIE 1 : Que signifie l’excellence en matière de conception ?
La conception est l’élément central de ma vie professionnelle, et c’est une activité qui déborde les frontières linguistiques et culturelles. Une telle affirmation peut avoir l’air prétentieuse, mais le sens qu’elle a à mes yeux est tout ce qu’il y a de plus concret. Si vous avez déjà eu à vous orienter dans le réseau de transport en commun d’une ville étrangère, à comprendre le tableau de bord d’un nouveau véhicule électrique ou à assembler un bureau IKEA en consultant le guide de montage, vous savez exactement de quoi je parle. Un objet ou un mode d’emploi bien conçu vous dit tout ce que vous devez savoir avec un minimum de mots ou de façon strictement visuelle, sans que vous ayez à comprendre une autre langue ou d’autres coutumes.
La conception a toujours été une affaire de communication efficace. C’était déjà vrai il y a des milliers ou même des centaines de milliers d’années. La plupart des livres d’histoire de la conception s’ouvrent sur les célèbres peintures de la grotte de Lascaux, qui ont été réalisées dix à quinze mille ans avant l’ère commune et que l’on présente comme une preuve incontestable de l’utilisation de communication visuelle par les premiers humains.
En matière de communication visuelle, efficacité et esthétique vont souvent de pair. À titre d’exemples à cet égard, songeons aux anciennes calligraphies chinoises sur rouleaux, aux manuscrits enluminés de la Renaissance ou aux affiches de Milton Glaser. Les artistes sont souvent attirés par le design. Souvent aussi, ils se distinguent par leur capacité de créer des concepts visuellement attrayants. Un excellent concept peut faire rire ou pleurer ou émouvoir d’autre façon. Il peut susciter de l’envie, faire craindre de rater quelque chose ou même inspirer.
L’art joue-t-il un rôle dans la conception ? (sans doute moins que vous ne le croyez)
Les concepteurs utilisent cet art pour créer un lien émotionnel entre le consommateur et un produit donné. Ce lien est ce qui suscite en vous un désir intense d’avoir un casque d’écoute, une machine à expresso ou un véhicule électrique. Il y a aussi l’art de créer des produits intuitifs. C’est ce qui fait qu’il est facile pour vous d’activer la commande de réduction du bruit de votre casque d’écoute, d’utiliser le mousseur à lait de votre machine à café ou de relier votre téléphone au système d’infodivertissement de votre VUS. Cependant, même si l’art contribue incontestablement à la qualité de la conception, la conception n’a jamais eu pour objet de créer de l’art.
C’est là une notion qui nous a été présentée de façon très claire dès notre premier cours de design à l’université, et qui nous a ensuite été répétée pratiquement dans chaque cours et chaque fois qu’on nous a demandé de faire un travail. L’art n’a pas grand-chose à voir avec la création de designs efficaces.
Peut-on imaginer un objet plus efficace – bien que totalement dénué de qualités artistiques – qu’une enseigne illuminée “Sortie” dans une salle de cinéma obscure ? Songez aussi à l’embarras que vous avez peut-être ressenti quand, arrivé devant l’entrée d’un magnifique immeuble de bureaux contemporain, vous vous êtes demandé comment ouvrir les portes vitrées. Ou encore, pensez au moteur de recherche Google – bien connu pour sa page blanche dépouillée, dotée d’une simple zone de recherche. Ce n’est pas exactement La Joconde, mais jamais auparavant il n’avait été aussi facile de lancer une recherche de portée mondiale sur n’importe quel sujet. On peut véritablement parler de chef-d’œuvre de conception.
Le secret d’un design efficace est la connaissance de l’utilisateur final. Connaissez-vous ses préoccupations ? Ses besoins ? Savez-vous ce qu’il ressent ? Comment il se comporte ou interagit ? C’est quand le client fait l’objet d’une “obsession saine” de la part des concepteurs que ceux-ci créent des concepts efficaces. En matière de conception, l’art est l’élément superflu dont la principale fonction est de permettre au concepteur de se démarquer des idées fades ou banales de la concurrence.
Comment distinguer le bon design du mauvais ? Vous n’avez pas besoin d’un diplôme dans le domaine ! D’une part, certains critères objectifs permettent d’évaluer l’efficacité d’un design. Par exemple, observe-t-on une amélioration du taux d’ouverture des courriels, de la mobilisation des utilisateurs, de la satisfaction de la clientèle ou des indicateurs de notoriété spontanée ? Cela dit, il y a aussi une part d’intuition dans l’efficacité d’un design. Ce second aspect est difficile à définir. De nombreux professionnels du monde des affaires ont de la difficulté à formuler ce qui fait le caractère intuitif d’un design. Il arrive aussi que leur évaluation soit faussée par l’attention exagérée qu’ils accordent à des aspects esthétiques. Afin de vous aider à y voir plus clair, voici quelques façons simples de déterminer le bon du mauvais en matière de design.
Comment distinguer le bon design du mauvais
- L’impression “Pourquoi n’y ai-je pas pensé ?” suscitée par un design. Le logo “sourire” de A à Z d’Amazon. Le slogan “Parce que vous le valez bien”, de L’Oréal. Le geste “pincer pour zoomer” sur le iPhone d’Apple, ou l’interface et la souris du Macintosh 128K original. Quand un design est efficace, on comprend tout de suite, de façon simple et intuitive, la nature ou la fonction du produit ou du concept qui nous est présenté. Il arrive qu’un design résulte d’un éclair de génie, et c’est immédiatement perceptible. Mais il ne faudrait pas croire que tout design efficace est le fruit du génie. En fait, c’est assez rare. Il demeure que pour un concepteur, rien n’est plus satisfaisant qu’un tel moment de génie.
- Clarté. Qu’un design soit présenté au moyen d’un panneau-réclame ne portant qu’un seul mot ou d’une vidéo “verbeuse” misant sur des effets lumineux et sonores, le but est toujours le même : communiquer efficacement une idée à un public cible. Ce but est-il atteint ? Avez-vous compris ce qu’on cherche à vous dire ou à vous vendre ? Si oui, le concept a rempli sa fonction.
- Le concept est-il en accord avec la marque ? Communique-t-il avec vous d’une façon qui est en harmonie avec la marque ? Si oui, cela signifie que la marque est consciente de ce qu’elle est. Songez à Lululemon, à la Croix-Rouge, à Red Bull ou à Disney. Je suis certain que ces marques évoquent dans votre esprit quelque chose de clair et distinct, et qu’il vous serait impossible de les confondre. Cette situation tient au travail accompli en arrière-plan par des concepteurs qui s’assurent de créer une identité de marque absolument claire. La notion d’”accord avec la marque ” exige, au préalable, qu’une marque soit bien définie, et il peut falloir des années ou même des décennies d’attention de tous les instants avant qu’une organisation soit en mesure d’offrir une valeur claire et distincte.
- Les résultats semblent-ils prometteurs ? Dans un contexte commercial, le design contribue à la réalisation d’un objectif précis, et l’efficacité sur ce plan peut être évaluée au moyen d’indicateurs courants comme ceux que j’ai mentionnés plus haut. Toutefois, comment faire pour évaluer l’efficacité d’un design avant sa mise en œuvre ? Entre autres sources d’information possibles à cet égard, mentionnons la recherche comportementale, les résultats d’essais de fonctions de clics publicitaires, ou encore les résultats obtenus dans le cadre d’autres campagnes ou du lancement d’autres produits. Les renseignements provenant de telles sources pourront vous aider à déterminer l’efficacité potentielle d’un design envisagé.
Un design répondant aux critères ci-dessus (ou à certains d’entre eux) devrait produire de bons résultats même s’il n’est pas nécessairement emballant d’un point de vue esthétique.
Le design est omniprésent autour de nous. Il joue divers rôles, facilitant l’utilisation d’appareils, suscitant une réaction affective inattendue ou transformant un produit ou un service en un élément absolument essentiel de notre vie quotidienne. Les concepteurs peuvent avoir une incidence importante sur le monde qui nous entoure et ils sont fiers de créer des concepts qui rendent notre vie meilleure.
Vous vous dites peut-être : “Tout cela a l’air passionnant, mais ce genre de travail me permettrait-il de payer mon loyer ?” Dans ce cas, restez à l’affût. Dans le deuxième article de cette série, je vous inviterai à découvrir certaines possibilités de faire votre place, vous aussi, dans le domaine de la conception.