Anthony Mouchantaf, chef, Capitaux, RBCx, et Janet Bannister, fondatrice de Staircase Ventures, discutent de la manière dont les sociétés de capital-risque et les fondateurs d’entreprise en démarrage s’adaptent dans une conjoncture économique défavorable.

Il va de soi que le ralentissement économique a eu des répercussions importantes sur les sociétés de capital-risque canadiennes et, par extension, les entreprises en démarrage. L’assouplissement quantitatif que la Banque du Canada et la Réserve fédérale ont mis en œuvre en réponse à la pandémie a contribué à une inflation inhabituelle de la valeur des actifs technologiques. Mais puisque tout ce qui monte redescend, les sociétés de capital-risque et les fondateurs font face à une conjoncture économique très différente de celle qui prévalait il y a à peine un an.

Comment les sociétés de capital-risque et les fondateurs s’adaptent-ils ? Qu’est-ce que les investisseurs recherchent actuellement chez un fondateur et une entreprise en démarrage ? Et comment les fondateurs peuvent-ils faire prospérer leur entreprise à long terme ?

Pour répondre à ces questions, RBCx a organisé récemment une causerie informelle avec Anthony Mouchantaf, chef, Capitaux, RBCx, et Janet Bannister, fondatrice de Staircase Ventures.

M. Mouchantaf dirige l’équipe Capital-risque RBCx, qui gère les fonds et oriente les investissements dans l’ensemble du portefeuille. Il est également à la tête de l’équipe de financement de fonds, qui accorde et gère le crédit aux sociétés de capital-risque et de capital de croissance. Avant de se joindre à RBC, il était investisseur en capital-risque à OMERS Ventures, où il était spécialisé dans les secteurs des technologies de pointe et des logiciels-services d’entreprise.

Mme Bannister est fondatrice et associée gestionnaire à Staircase Ventures. Elle était auparavant associée gestionnaire à Real Ventures et a fondé Kijiji.ca. Elle est actuellement coprésidente de C100 et siège aux conseils d’administration de Communitech à Waterloo, du Vector Institute à Toronto et de l’Ivey Business School.

Mme Bannister et M. Mouchantaf se sont adressés virtuellement à plus de 50 clients, auxquels ils ont offert de précieux conseils – tant stratégiques que généraux – pour les entreprises en démarrage qui évoluent dans l’environnement économique actuel. Lors d’une discussion animée, ils ont partagé leurs vastes connaissances financières et raconté des anecdotes passionnantes afin de présenter des meilleures pratiques et donner un aperçu de ce qui se passe dans les coulisses. Voici les principaux points à retenir de cette rencontre :

La résilience : la clé pour surmonter la crise

Les sociétés de capital-risque et les entreprises en démarrage sont extrêmement sensibles aux changements macroéconomiques en ce qui a trait à l’éventail de catégories d’actifs. Le repli économique actuel – qui découle de la pandémie – touche les entreprises technologiques de manière disproportionnée.

« En gros, les banques centrales du monde entier ont injecté trop de liquidités dans le marché en réaction à la pandémie, ce qui a contribué à l’essor du capital-risque », explique M. Mouchantaf. Pour cette raison, beaucoup d’argent s’est retrouvé dans des bulles d’actifs, dont les entreprises en démarrage ont été les principales bénéficiaires. Toutefois, à mesure que l’économie retourne à la moyenne, ces entreprises sont parmi les plus touchées.

« Lorsque vous montez très haut pour revenir ensuite à un équilibre, la chute est longue. C’est ce qui se produit en ce moment, indique M. Mouchantaf. Une entreprise peut se rendre compte que, bien qu’il n’y ait pas eu de changement fondamental dans ses activités, son évaluation est très différente aujourd’hui de ce qu’elle était auparavant. En 2021, elle aurait pu être évaluée à 50 fois ses revenus, contre seulement 10 fois maintenant, même si elle a doublé ses revenus depuis. »

« Dans ce marché, on voit quelles sont les entreprises résilientes. Celles qui se concentrent sur le long terme et ce qui est durable, et celles qui ont bénéficié d’un placement momentum. »

Mme Bannister abonde dans le même sens et mentionne que les entreprises tenaces, attentives et promptes à réagir sont mieux en mesure de persévérer en cette période difficile. D’ailleurs, elle croit que c’est le moment idéal pour qui veut être un investisseur initial dans une entreprise en prédémarrage.

« Les évaluations sont au plus bas et le type de fondateur qui lance une entreprise actuellement est différent de celui qui le faisait il y a deux ou trois ans », indique Mme Bannister. « Tout le monde pense que c’est facile d’être entrepreneur. Il n’y a rien de tel qu’une mauvaise période pour révéler ceux qui savent qu’il y aura des moments difficiles, mais qui vont quand même de l’avant. »

« Tout le monde pense que c’est facile d’être entrepreneur. Il n’y a rien de tel qu’une mauvaise période pour révéler ceux qui savent qu’il y aura des moments difficiles, mais qui vont quand même de l’avant. »

Le comportement et les attentes des investisseurs changent

De nos jours, les investisseurs ont une forte aversion pour le risque. « Fini, le syndrome FOMO (la crainte de rater quelque chose), affirme Mme Bannister. Ils préfèrent rester sur la touche. » Elle a également constaté que davantage d’investisseurs se retirent d’opérations à la toute dernière minute.

« Je connais deux entreprises pour lesquelles les feuilles de modalités étaient signées et le processus de diligence était achevé ; et pourtant, un ou deux jours avant d’obtenir l’approbation, elles ont annoncé qu’elles n’iraient pas de l’avant. » Pour réussir, elle conseille aux fondateurs à l’étape de démarrage de s’entourer de gens qui croient en leur entreprise et de toujours envisager les difficultés et les moyens de les prévenir.

« Beaucoup de choses vont mal dans le marché en ce moment quand on pense aux retraits de financements, d’où l’importance d’avoir un plan d’urgence. Préparez-vous à ce que les choses tournent mal et prévoyez en conséquence. »

Aujourd’hui, les investisseurs privilégient la qualité – celle de l’entreprise et du fondateur. Il y a de la place dans ce marché pour les fondateurs qui ont la volonté et l’endurance nécessaires pour traverser les périodes difficiles, selon M. Mouchantaf. Il en va de même pour ceux qui possèdent une plus grande expérience et qui déploient « de profondes habiletés opérationnelles pour naviguer dans le contexte actuel ».

Les investisseurs veulent savoir où s’en va votre entreprise

Mme Bannister et M. Mouchantaf nous donnent leur avis sur ce que les investisseurs recherchent dans une entreprise en démarrage et sur la meilleure façon pour les fondateurs de démontrer la valeur de leur société.

Les investisseurs à l’étape de démarrage n’investissent pas dans ce que vous faites maintenant, mais plutôt dans ce que sera votre entreprise dans dix ans. Qu’est-ce que vous bâtissez ? L’entreprise a-t-elle une marge brute élevée ? A-t-elle une bonne rentabilité ? Pouvez-vous utiliser efficacement les capitaux mobilisés ? Pouvez-vous acquérir des clients à moindre coût ? Les gardez-vous longtemps ? Toutes ces considérations sont importantes pour les investisseurs, souligne M. Mouchantaf.

Les entreprises en démarrage ont besoin de bonnes données économiques. Bien que de nombreux fondateurs utilisent comme mesure la valeur à vie d’un client, Mme Bannister recommande plutôt d’employer la mesure du délai de récupération. Combien de mois faut-il avant que votre bénéfice brut ne dépasse les coûts engagés pour acquérir ce client ? « Il est important de pouvoir récupérer rapidement le coût d’acquisition d’un client. Tant mieux si vous êtes en mesure de récupérer votre argent en deux mois, contre 12 mois pour une autre entreprise, en particulier dans un contexte de taux d’intérêt élevés où il est difficile d’obtenir des capitaux. »

Votre entreprise doit proposer de régler un problème urgent. À l’heure actuelle, les entreprises réduisent leurs dépenses et font peu d’achats. « Par exemple, si vous voulez vendre un logiciel, c’est préférable qu’il serve à régler un problème urgent ou que vous présentiez votre produit de cette façon à un client potentiel afin qu’il le considère comme prioritaire », conseille Mme Bannister.

Les principales qualités que les investisseurs apprécient chez un fondateur

Les fondateurs ont tendance à avoir en commun certaines qualités, comme l’intégrité, l’ardeur au travail, l’intelligence et une approche originale. Mme Bannister tient toutefois à souligner un petit nombre de qualités essentielles qui sortent du cadre habituel et permettent aux fondateurs de se distinguer.

Une mentalité axée sur la croissance pour pouvoir apprendre et grandir continuellement sur les plans professionnel et personnel.

La capacité d’énoncer une vision claire pour attirer des gens plus compétents que soi. « Le fait est qu’aucune entreprise n’a jamais été développée par une seule personne. Si un patron n’est pas en mesure d’attirer, de motiver et de retenir des gens qui sont plus compétents que lui, il ne pourra jamais faire évoluer son entreprise. »

La capacité d’assumer ses résultats, en particulier lorsque les choses ne se passent pas comme prévu. « Est-ce le type de personne qui attribue ses problèmes à des facteurs externes, ou plutôt qui se livre à une introspection et se demande quelles leçons elle pourrait en tirer », ajoute Mme Bannister. « Comment puis-je m’améliorer ? »

« Est-ce le type de personne qui attribue ses problèmes à des facteurs externes, ou plutôt qui se livre à une introspection et se demande quelles leçons elle pourrait en tirer ? »

Un fondateur doit être investi d’une mission. Les investisseurs misent autant sur le fondateur que sur l’entreprise. M. Mouchantaf mentionne à ce sujet la célèbre citation du roi Louis XIV : « L’État, c’est moi ».

« Cela s’applique également aux fondateurs à l’étape de démarrage : l’entreprise c’est eux. » Les investisseurs veulent savoir si cette personne sera en mesure d’aider son entreprise à relever les défis d’une conjoncture défavorable.

Pièges à éviter lorsque vous rencontrez des investisseurs

En tant que fondateur d’une entreprise en démarrage, vous devez vous présenter comme un expert. Les investisseurs veulent être certains que vous pourrez diriger l’entreprise à travers les hauts et les bas de son cycle de vie. Selon M. Mouchantaf, certains fondateurs font fausse route en se fiant trop aux sociétés de capital-risque pour obtenir des conseils opérationnels. Les investisseurs ont une entreprise horizontale et en savent un peu sur beaucoup de choses : « Ils sont très compétents en ce qui a trait au “méta”, ils savent déceler les bonnes comme les mauvaises affaires, et quoi rechercher chez un fondateur. »

En revanche, la force des fondateurs se situe sur le plan vertical. « Votre travail consiste à faire ce que vous faites avec rigueur et minutie. Soyez l’expert en la matière », indique M. Mouchantaf.

Il ajoute que certains fondateurs ne saisissent pas bien cette importante distinction. Ils pensent que les sociétés de capital-risque en savent plus qu’eux sur leur domaine et, par conséquent, ont tendance à trop se fier à elles pour obtenir des conseils. En fin de compte, le fondateur et l’investisseur entretiennent une relation symbiotique. Le fondateur se fie aux sociétés de capital-risque pour obtenir une perspective horizontale et un soutien pour adapter ses activités, tandis que les sociétés de capital-risque se fient aux connaissances verticales (approfondies) des fondateurs pour diriger leurs affaires en évitant les écueils.

En fin de compte, le fondateur et l’investisseur entretiennent une relation symbiotique. Le fondateur se fie aux sociétés de capital-risque pour obtenir une perspective horizontale et un soutien pour adapter ses activités, tandis que les sociétés de capital-risque se fient aux connaissances verticales (approfondies) des fondateurs pour diriger leurs affaires en évitant les écueils.

Mme Bannister propose aux fondateurs quelques tactiques faciles à appliquer lorsqu’ils entrent en contact avec une société de capital-risque :

Quand vous faites un suivi par téléphone ou par courriel avec un investisseur, prenez soin de vous présenter de nouveau. Précisez toujours le contexte. Par exemple, rappelez le moment où vous vous êtes rencontrés, qui vous a présenté ou d’autres détails pertinents, afin d’aider l’investisseur à se souvenir de votre précédente interaction.

Si vous le joignez par courriel, rédigez une ligne Objet pour l’éclairer. Il est courant d’être présenté par courriel, puis de répondre au moyen du même fil de discussion. Le problème, affirme Mme Bannister, c’est lorsque l’objet du message n’est pas mis à jour. « Je me retrouve alors avec tous ces courriels dont la ligne Objet fait référence au message d’introduction ! Remplacez-la par le nom de votre entreprise. »

Selon elle, une autre tactique simple consiste à ne pas être trop bavard. Trop souvent, elle se retrouve au téléphone avec un fondateur qui parle sans arrêt, sans lui laisser la possibilité de poser des questions ou de demander d’éclaircir certains points. « Vous devez faire des pauses pour vous assurer que votre interlocuteur vous suit et peut poser des questions. »

Bien entendu, il est primordial que vous soyez capable d’énoncer en quelques mots votre vision globale. « C’est plus convaincant de dire “je monte cette entreprise, je commence ici et voici ma progression”, plutôt que “j’ai cette petite entreprise que je cherche à faire croître…” » Dites à la société de capital-risque ce que vous prévoyez faire.

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