John est membre de l’équipe Services bancaires RBCx, au sein de laquelle il appuie principalement la collecte de fonds et la croissance stratégique d’entreprises en démarrage. De plus, il collabore avec l’équipe Capital-risque RBCx dans le cadre d’occasions de placement directes, indirectes (fonds de fonds) et stratégiques.

À retenir

Voici les principaux points à retenir pour les lecteurs qui n’ont que quelques minutes.

  1. L’imprévisibilité du marché haussier. Imprévisible, la crise mondiale de 2020 et 2021 a mis fin au marché haussier des dix dernières années au sein de l’écosystème technologique, et l’environnement macroéconomique qui avait soutenu les entrepreneurs au cours des dernières années, surtout les deux dernières, a définitivement changé.
  2. La hausse débridée des valorisations technologiques. Deux importants facteurs ont soutenu le secteur des technologies au cours de la dernière décennie. Le premier était un environnement macroéconomique marqué par des taux d’intérêt presque nuls, une inflation prévisible, une forte croissance économique et un accès facile à d’amples capitaux. Le deuxième était une mentalité de croissance à tout prix. Ce dernier étant prédominant, les investisseurs ont pris plus de risques sans égard pour les valorisations qui prenaient des proportions mythiques.
  3. Les deux types d’entreprises de 2020. Le contexte macroéconomique solide de la dernière décennie a engendré deux types de sociétés technologiques : les chefs de file reconnus et les entreprises en quête de croissance. Les premières ont fait preuve de prudence en se cantonnant dans des modèles d’affaires éprouvés, soutenues par la souplesse financière que leur procuraient leurs produits adaptés au marché à long terme et par leur faible vulnérabilité à l’égard de la volatilité macroéconomique. Les secondes ont misé sur le capital privé liquide pour financer une croissance axée sur un profil financier risqué, s’exposant ainsi à cette même volatilité.
  4. Les deux types d’entreprises de 2022. Entre 2020 et 2022, les chefs de file reconnus se sont transformés en entreprises bâtisseuses à l’abri et les entreprises en quête de croissance sont entrées dans une zone dangereuse. Les premières continueront d’attirer des capitaux d’investissement et de résister à la détérioration du contexte macroéconomique grâce au maintien d’une base de clientèle protégée. Les deuxièmes devront réviser rapidement leurs modèles d’affaires pour survivre.
  5. Prise en compte du contexte macroéconomique. Compte tenu des coûts élevés qu’il doit assumer, le secteur des technologies est très vulnérable aux fluctuations macroéconomiques. Les entrepreneurs qui se sont lancés dans ce secteur au cours de la dernière décennie n’ont aucune expérience de la croissance en période de ralentissement économique, particulièrement si ce dernier découle d’un événement imprévisible. Les entrepreneurs expérimentés se sont concentrés sur la gestion des intrants contrôlables, mais cela ne suffit plus : les facteurs macroéconomiques ont désormais autant d’incidence sur l’entreprise. Pour bâtir un avenir prospère dans le secteur des technologies, il faut tenir compte des facteurs macroéconomiques.

Introduction

Au cours de la dernière décennie, le secteur des technologies a été dominé par une poignée de pionniers, alias FAANG (ou plutôt MAANG depuis le passage de Facebook à META). Fortes de décennies de croissance, ces entreprises distribuent massivement leurs produits à vaste échelle, et bénéficient des avantages que leur procurent leur réseau et leurs ressources en apparence inépuisables pour attirer les meilleurs talents et vaincre systématiquement leurs concurrents par tous les moyens (notamment en s’opposant aux efforts antitrust de la Federal Trade Commission).

Jusqu’à tout récemment, rien n’avait réussi à freiner leur croissance : le marché semblait croire que ces entreprises étaient au-delà de l’échec. Une avalanche d’annonces importantes a pourtant modifié cette perception au cours du dernier mois :

  • META a annoncé une réorganisation de ses équipes et une restructuration de ses effectifs, alors que son ère de croissance effrénée a pris fin et que, pour la première fois en 18 ans, la croissance de ses revenus a ralenti pendant deux trimestres consécutifs[1].
  • Apple a annoncé qu’elle cesserait la production de son iPhone 14 en raison d’une demande très inférieure à ses prévisions[2].
  • Le chef de la direction de Google, Sundar Pichai, a déclaré publiquement être insatisfait de la productivité de son entreprise, compte tenu de la taille de son effectif, et qu’il en améliorera l’efficience[3].
  • Le chef de la direction d’Amazon, Andy Jassy, a annoncé un gel mondial de l’embauche dans l’ensemble de la division Worldwide Amazon Stores en raison de ventes inférieures aux prévisions et de préoccupations suscitées par un ralentissement économique marqué[4].

Bien que ces manchettes soient préoccupantes pour les perspectives de l’ensemble de l’écosystème technologique, on peut en tirer des conclusions beaucoup plus inquiétantes, mais dont on parle moins. Les causes fondamentales qui ont poussé les sociétés technologiques susmentionnées à procéder à ces redressements ne découlent pas de mauvaises décisions internes ou de piètres données. Ces changements découlent plutôt d’un déluge de facteurs externes inattendus et incontrôlables qui ont modifié l’environnement macroéconomique sur lequel s’appuie l’écosystème technologique.

La présente série d’articles portera sur ces facteurs, en particulier ceux qui, de façon imprévisible, ont mis fin en 2020 et 2021 au marché haussier qui prévalait depuis une décennie.

Deux importants facteurs ont soutenu le secteur des technologies au cours de la dernière décennie. Le premier était un environnement macroéconomique marqué par des taux d’intérêt presque nuls, une inflation prévisible, une forte croissance économique et un accès facile à d’amples capitaux. Le deuxième était une mentalité de croissance à tout prix affectant à la fois l’entrepreneuriat et l’investissement dans ce secteur. Ce dernier étant prédominant, les investisseurs ont pris plus de risques, reléguant au second plan les besoins de rentabilité et de génération de liquidités à court terme. Au contraire, les fameux multiplicateurs technologiques ont incité les entrepreneurs et les investisseurs à privilégier les valorisations.

Comme le contexte macroéconomique de la dernière décennie demeurait solide et que les capitaux étaient facilement accessibles, deux catégories de sociétés technologiques ont pu prospérer.

J’appelle les premières les “chefs de file reconnus : les entreprises qui établissent des modèles d’affaires éprouvés dans un environnement macroéconomique favorable. Certaines étaient rentables, et donc ne dépendaient pas de financement externe, alors que d’autres nécessitaient d’importants capitaux d’investissement, cette utilisation intensive de capitaux étant toutefois justifiée par le développement de produits en forte demande. Les chefs de file reconnus ont une discipline financière et des fondements solides qui les protègent de la volatilité macroéconomique.

D’autre part, il y a les entreprises en quête de croissance : les sociétés qui n’ont pas encore prouvé leur valeur concurrentielle fondamentale à long terme, mais qui ont réussi à croître grâce au recours excessif à des capitaux privés liquides pour compenser un profil financier faible. Ces entreprises sont axées sur la croissance à tout prix, mais leurs bases ne sont pas suffisamment solides pour soutenir un taux élevé d’utilisation de capitaux. Elles demeurent donc sensibles aux effets défavorables d’un changement macroéconomique soudain.

Alors qu’un nouveau contexte macroéconomique s’établissait en 2022 – hausses de taux consécutives records, inflation galopante, politique de gel monétaire et forte chute des valorisations – les entreprises technologiques ont dû s’adapter à une conjoncture soudainement défavorable.

Au sortir de cette phase de volatilité et de transition, les chefs de file reconnus s’étaient transformés en entreprises bâtisseuses à l’abri. Certes, ces sociétés semblent surévaluées (comme la majorité des actifs de croissance), mais elles continueront d’attirer des capitaux privés. Elles devront peut-être apporter des changements financiers et opérationnels mineurs, mais elles seront toujours soutenues par un niveau de demande établi en raison de leur modèle d’affaires éprouvé. Elles sont les mieux équipées pour résister à la volatilité macroéconomique à venir et pour récupérer la part de marché de leurs concurrents moins fortunés.

Les entreprises en quête de croissance, elles, sont entrées dans une zone dangereuse où elles doivent rapidement transformer leur modèle d’affaires. Comme Warren Buffet l’a dit : “C’est quand la marée se retire qu’on voit ceux qui nageaient nus[5].”

Nous l’avons constaté tout au long du premier semestre de 2022 : les sociétés dans la zone dangereuse doivent utiliser les capitaux amassés durant la phase haussière de manière à justifier leur ancienne valorisation. Elles doivent aussi couper fortement dans les coûts (voir ci-dessous). Malheureusement, ces impératifs ont entraîné plus de 95 000 licenciements dans le secteur mondial des technologies rien qu’en 2022. Ils déclencheront aussi une prise de bilan pour de nombreuses entreprises.

Pour quiconque est entré dans l’écosystème technologique dans un contexte dit “normal”, il est maintenant clair que l’ère technologique à venir sera très différente après la pandémie et la fin du marché haussier. Pour contribuer à la façonner, il sera essentiel que les intervenants comprennent les facteurs clés qui ont mené à cette situation et qu’ils utilisent ces renseignements pour assurer un meilleur avenir au secteur des technologies. J’ai décidé d’écrire cette série à la suite de quatre grandes prises de conscience :

  1. Bien que le ralentissement actuel ait une incidence sur pratiquement toutes les catégories d’actifs, le secteur des technologies et ses actifs axés sur la croissance ont été démesurément touchés en raison de leur exposition, démesurée elle aussi, à la volatilité macroéconomique.
  2. La dernière récession s’étant produite il y a plus de dix ans, les entreprises établies au cours des dernières années, au sommet de l’essor des technologies, doivent maintenant fonctionner dans un environnement complètement inconnu.
  3. Les équipes de direction ont jusqu’à maintenant agi sur ce qu’elles contrôlaient (ventes, marketing, produits, etc.), mais les facteurs macroéconomiques ont désormais autant d’incidence sur leur entreprise et elles doivent en tenir compte dans leur planification.
  4. Pour bâtir un écosystème technologique plus solide, tant du point de vue de l’entrepreneuriat que des investissements, il est essentiel de comprendre les facteurs du marché et macroéconomiques qui ont mené au marché haussier débridé.

Le présent article marque le début d’une série en quatre parties qui découle de conversations avec divers entrepreneurs, investisseurs, partenaires et collègues de l’écosystème technologique. À la lumière de ces entretiens, j’ai décidé de me concentrer sur les aspects du secteur les plus touchés par l’environnement macroéconomique pendant la phase de croissance boursière imprévisible et les trois premiers trimestres de 2022.

  • La deuxième partie portera sur l’accessibilité des capitaux.
  • La troisième partie abordera les valorisations.
  • La quatrième partie s’intéressera à l’expansion des affaires.

Bienvenue à L’économiste technologique imparti et soyez à l’affût du prochain article, qui abordera les répercussions macroéconomiques sur l’accessibilité des capitaux.

Références :

  1. “https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-09-29/meta-announces-hiring-freeze-warns-employees-of-restructuring”
  2. “https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-09-28/apple-iphone-14-sales-not-strong-enough-to-trigger-production-boost”
  3. “https://www.cnbc.com/2022/07/31/google-ceo-to-employees-productivity-and-focus-must-improve.html”
  4. “https://www.cnbc.com/2022/07/31/google-ceo-to-employees-productivity-and-focus-must-improve.html”
  5. “https://money.com/swimming-naked-when-the-tide-goes-out/”
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